mercredi 27 avril 2016

Extrait de Bipole (travail en cours)

 
OU LA MALADIE DES EMOTIONS
Je ne suis pas douce et je n’aime pas les gens. Ils ne m’aiment pas non plus mais ça m’est égal. J’ai inventé un baromètre de l’humeur : un jour, il est à moins quarante et le lendemain à plus quatre-vingt-dix. Au petit matin ou à la tombée de la nuit, les piaillements suraigus des oiseaux me déchirent la tête. Le refrain d’une chanson que l’on connaît par cœur joué de plus en plus vite annonce mon délire. Ça peut commencer comme cela ou bien, autrement. Le sommeil s’échappe, les angoisses ressurgissent et à chaque fois mes pensées échappent à mon contrôle. Les mots arrivent trop vite et elles s’envolent. Qu’est-ce que je voulais dire ? Où en étais-je ? Je fais cent choses à la fois. Le dessin, la retouche de photos, l’écriture, la radio, facebook et les courriels. Rien ne me fait peur, je vais vite et même l’ordinateur ne suit pas. Et puis, finir par pleurer parce que tout s’échappe. Faire taire les voix qui me susurrent à l’oreille des choses pas tendres ou au contraire trop suaves pour être honnêtes : «  Attention, là tu n’es pas protégée !Tu as besoin de Dieu, il te faut le prier. Tu es folle, regarde-toi ! ».
Faire semblant de se marier bientôt et essayer les plus belles robes chez Pronuptia sans un sou en poche. Faire surchauffer l’ordinateur qui ne tient pas une semaine à ce rythme. Ne rien dire à ma psy que je vois une fois par semaine, sauver les apparences sinon c’est l’internement immédiat en urgence. En fin de compte, laisser passer la crise, le délire aussi et puis s’en moquer gentiment. En période euphorique, je suis persuadée que Dieu me protège car « il reconnaît les siens », il m’ouvre la route, mais je ne sais pas qui est Dieu… La nuit, je peux conduire les yeux fermés… Je suis invincible, je peux me qualifier pour les prochains Jeux Olympiques d’été : mon rêve depuis toujours, le pentathlon et le cent mètres je les remporterai haut la main. J’ai toujours couru plus vite que tout le monde. Je suis la plus grande chanteuse de la planète même si je suis encore ignorée, le monde, un jour, reconnaîtra mon talent, j’ai confiance! Je passe ma vie au téléphone pendant des heures sans pouvoir dormir, je téléphone même aux gens en pleine nuit. Je laisse des messages sur les répondeurs, je perds des amis qui n’admettent pas mes messages à trois heures du matin. Rien à mon goût ne va assez vite. Il faut se dépêcher de vivre, il nous reste peu de temps. « Allez, on part au bout du monde ! ». Dans ces moments - là, je ressens une sensation de vertige, je suis envahie par l’inquiétude mais pas par le doute. Et il est si bon de se sentir au sommet de son art, de sentir la vie au plus fort de tout, de se croire belle et plus subtile, plus vive, plus intelligente aussi.

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