Tout ça, à cause d’une boîte de cigares. Cigarillos. Y’avait des couleurs sur le couvercle pour voyager. A force de les toucher, elles se sont usées.
J’ai
ouvert cette boîte à secrets : dedans, un zippo sans essence.
Une vielle paire de lunettes. Ton carnet vert : et des mots de
ta main. Deux vielles pipes cassées qui venaient de ton père qui,
lui, n’a jamais fumé. Un truc pour rouler des cigarettes à la
main. Tu passais ta lèvre humide. Tu venais de mourir mon Hidalgo
alors je me suis réfugiée dans ton odeur.
Un
jour, à Ostende, 25 ans plus tard, j’ai rêvé à la vitrine d’un
marchand de tabac. Il faisait très froid et soleil. J’ai caressé
la vitrine et en fermant les yeux, tu étais là. J’aurais voulu
entrer dans cet antre de mâles pour acheter une boîte de cigares
vide.
J’ai
pas osé.
Ça
s’achète pas des boîtes vides sauf quand ce sont des cercueils et
moi, pour nous, j’aurais voulu plein de petits cercueils odorants.
Odorants de toi.
On
les aurait rempli des souvenirs qu’on a jamais eus. Des timbres
parce qu’on se serait écrit beaucoup et souvent. Tu aurait été
mon homme du bout du monde, mon phare, ma luciole. Je t’aurais
envoyé des odeurs de femmes : tu les aimais. Sur des bouts de
tissus, sur du papier et de la terre, du sable, des feuilles.
J’aurais été ton explorateur en mission de génie. Et je t’aurais
envoyé des boîtes à toi sagement resté at home. Dedans, des
photos de mes enfants de toute les couleurs , en Inde, du bout de
l’Afrique, Nayoundé, dans le désert de Gobi, des graines de
fruits et des fleurs séchées , roses , bleues des morceaux d’arbre,
du sable sec et des rais de lumières roses et ocres. De l’Ixotisme,
hum. Et puis avec le temps, tout aurait pris ton odeur de
gitane-maïs, cigares, cigarillos.
J’aurais
été ta fleur préférée. Laisse-moi te rêver. J’aurais été
ton héroïne dans une vie bien western à la…..avec
des indiens et des totems sans tabous. Je te vois sourire là.
Tu
aimes ma vie.
Tu
allumes une pipe. Tu es assis dans ce vieux canapé pourri et vert.
Tu prends la pose. Tu tiens entre tes mains une grande enveloppe en
papier crafte. Tu aimes ce papier. Tu prends ton temps car tu as tout
le temps comme d’habitude. Tu observes tous les timbres pleins de
couleurs. Tu te lèves et va t’asseoir à la table de la salle à
manger en teck qui brille tellement qu’on y verrait des visages
s’ils perçaient la lumière. Tu sors délicatement le contenu de
la grande enveloppe et tu étales délicatement le tout, du plat de
la main, devant toi. Oui, tu souris, la pipe au coin de la bouche. Tu
prends
les photos une à une ; tu vérifies s’il n’y a rien au dos
. Tu plisses les yeux. Tu jettes un coup d’œil aux mots écrits
sur les feuilles. Tu reviens aux photos ; tu respires la
feuille jaunie qui sent l’Orient .Quelques bâtons d’encens. De
la poudre de cade, canelle, ça te plaît. Un caillou. Un morceau de
gingembre
que tu tournes et retournes dans tes mains. Des morceaux de toi en
racine. Puis tu lis mes lettres que je t’envoie par 5 ou 6 comme un
journal de bord. Et ton temps passe au gré du vieux carillon
Wesminster que tu n’entends même plus. Tu te lèves enfin. Tu es
redevenu grave. Tu replaces les lettres et les photos dans
l’enveloppe et tu la ranges soigneusement dans le buffet. Porte
gauche. Ça commence à faire un belle pile, te dis-tu. Tu reposes la
boîte à gaufres en fer, là où sur le couvercle y’a une ptite
fille qui soigne son chien. Elle est toute cabossée. Tu fermes la
porte du buffet. Tour de clef. Tu déposes ta pipe dans le cendrier
bleu. Et tu t’en vas au jardin pour cueillir les légumes,
poireaux, carottes, navets de la soupe du soir.
Je
ne serais ni le James Bond ni le Gabble de personne. Tu es mort et je
ne veux sur aucune autre terre poser mes pas. Je ne saurai jamais
nager ; tu ne m’as pas tenue assez longtemps dans la Mer du
Nord pour m’apprendre.
Je
serai un papillon, d’accord ? Tu veux ?
Avec une bouée canard, c’est plus sûr. Tu le sais toi que j’ai
peur de tomber et je sais aussi que ça te fait sourire.
Car tu souriais beaucoup de moi. C’est un peu
normal. Tu n’as pas vraiment pris le temps de me voir avoir
vraiment peur. Peur des hommes, de la mer, des araignées et des
masques larvés.
Peur
de moi
Peur
du soleil.
La
crève sur la graine.
Tu
aurais dû m’apprendre à marcher . Je ne sais pas courir. Je
ne sais pas souffrir.
Je
suis un bébé éléphant égaré et je ne veux pas me faire adopter.
Tu ne m’as pas adoptée. Toi, tu t’es sauvé un 12 avril de je
sais plus quand.
Alors,
pour Noël de cette année, je vais m’offrir deux cadeaux :
Une
boîte de fins cigares avec des images dessus que je caresserai
longtemps ; à force, elles s’useront et je fumerai ces
cigares pour que , un jour, cette boîte soit vide et pour que je
puisse enfin y placer mes rêves de ton odeur.
Et
puis un Nours bleu que je prendrai dans mes bras et qui sera mon
amour et mon nuage. Mon seul amour en nuage, hein ?
Oui,
tu peux sourire, Pa –
Je
n’aime que les soleils que tu aurais aimés.
Ton
gilet moutarde avec son écusson.
Ta
moustache et tes poils de nez.
Ton
blaireau, ta mousse à raser.
Tes
outils bien alignés dans l’atelier.
Tes
crachats du matin.
Ta
mobylette et ton solex.
Tes
lunettes de moto.
Ton
vin rouge et puis tes bouteilles d’eau à la menthe.
Tes
tomates du jardin. Le persil frisé.
Si
j’écris , c’est pour oublier que tu m’a oubliée.
Un
jour, tu arrêteras de sourire quand je te parle.
Tu
me prendras dans tes bras pour m’accueillir. Tu ouvriras tes bras.
Hum.
C’est
vrai que les boîtes vides ça s’achète pas. Alors, je vais
acheter une boîte pleine.
Et
puis tes yeux noirs, je les aimais aussi. On sourit pareil. Même
encore maintenant. On sourit pareil.
C’est
peut-être pour ça que je vrille parfois et que je fume pour me
sentir encore dans tes narines.
Je
ne sais d’ailleurs. C’est pas important.
Je
n’ai pas de corps pour me reposer.
Quand
la boîte de cigares sera vide, j’y mettrai la photo de deux
enfants : toi et moi parce qu’on a le même sourire, Monsieur
Alfred.
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