dimanche 14 février 2016

Hors-Jeu )Extrait( Ed.Harmattan Collection les21

Tout ça, à cause d’une boîte de cigares. Cigarillos. Y’avait des couleurs sur le couvercle pour voyager. A force de les toucher, elles se sont usées.

J’ai ouvert cette boîte à secrets : dedans, un zippo sans essence. Une vielle paire de lunettes. Ton carnet vert : et des mots de ta main. Deux vielles pipes cassées qui venaient de ton père qui, lui, n’a jamais fumé. Un truc pour rouler des cigarettes à la main. Tu passais ta lèvre humide. Tu venais de mourir mon Hidalgo alors je me suis réfugiée dans ton odeur.
Un jour, à Ostende, 25 ans plus tard, j’ai rêvé à la vitrine d’un marchand de tabac. Il faisait très froid et soleil. J’ai caressé la vitrine et en fermant les yeux, tu étais là. J’aurais voulu entrer dans cet antre de mâles pour acheter une boîte de cigares vide.
J’ai pas osé.
Ça s’achète pas des boîtes vides sauf quand ce sont des cercueils et moi, pour nous, j’aurais voulu plein de petits cercueils odorants. Odorants de toi.
On les aurait rempli des souvenirs qu’on a jamais eus. Des timbres parce qu’on se serait écrit beaucoup et souvent. Tu aurait été mon homme du bout du monde, mon phare, ma luciole. Je t’aurais envoyé des odeurs de femmes : tu les aimais. Sur des bouts de tissus, sur du papier et de la terre, du sable, des feuilles. J’aurais été ton explorateur en mission de génie. Et je t’aurais envoyé des boîtes à toi sagement resté at home. Dedans, des photos de mes enfants de toute les couleurs , en Inde, du bout de l’Afrique, Nayoundé, dans le désert de Gobi, des graines de fruits et des fleurs séchées , roses , bleues des morceaux d’arbre, du sable sec et des rais de lumières roses et ocres. De l’Ixotisme, hum. Et puis avec le temps, tout aurait pris ton odeur de gitane-maïs, cigares, cigarillos.
J’aurais été ta fleur préférée. Laisse-moi te rêver. J’aurais été ton héroïne dans une vie bien western à la…..avec des indiens et des totems sans tabous. Je te vois sourire là.
Tu aimes ma vie.
Tu allumes une pipe. Tu es assis dans ce vieux canapé pourri et vert. Tu prends la pose. Tu tiens entre tes mains une grande enveloppe en papier crafte. Tu aimes ce papier. Tu prends ton temps car tu as tout le temps comme d’habitude. Tu observes tous les timbres pleins de couleurs. Tu te lèves et va t’asseoir à la table de la salle à manger en teck qui brille tellement qu’on y verrait des visages s’ils perçaient la lumière. Tu sors délicatement le contenu de la grande enveloppe et tu étales délicatement le tout, du plat de la main, devant toi. Oui, tu souris, la pipe au coin de la bouche. Tu prends les photos une à une ; tu vérifies s’il n’y a rien au dos . Tu plisses les yeux. Tu jettes un coup d’œil aux mots écrits sur les feuilles. Tu reviens aux photos ; tu respires la feuille jaunie qui sent l’Orient .Quelques bâtons d’encens. De la poudre de cade, canelle, ça te plaît. Un caillou. Un morceau de gingembre que tu tournes et retournes dans tes mains. Des morceaux de toi en racine. Puis tu lis mes lettres que je t’envoie par 5 ou 6 comme un journal de bord. Et ton temps passe au gré du vieux carillon Wesminster que tu n’entends même plus. Tu te lèves enfin. Tu es redevenu grave. Tu replaces les lettres et les photos dans l’enveloppe et tu la ranges soigneusement dans le buffet. Porte gauche. Ça commence à faire un belle pile, te dis-tu. Tu reposes la boîte à gaufres en fer, là où sur le couvercle y’a une ptite fille qui soigne son chien. Elle est toute cabossée. Tu fermes la porte du buffet. Tour de clef. Tu déposes ta pipe dans le cendrier bleu. Et tu t’en vas au jardin pour cueillir les légumes, poireaux, carottes, navets de la soupe du soir.
Je ne serais ni le James Bond ni le Gabble de personne. Tu es mort et je ne veux sur aucune autre terre poser mes pas. Je ne saurai jamais nager ; tu ne m’as pas tenue assez longtemps dans la Mer du Nord pour m’apprendre.
Je serai un papillon, d’accord ? Tu veux ? Avec une bouée canard, c’est plus sûr. Tu le sais toi que j’ai peur de tomber et je sais aussi que ça te fait sourire.
Car tu souriais beaucoup de moi. C’est un peu normal. Tu n’as pas vraiment pris le temps de me voir avoir vraiment peur. Peur des hommes, de la mer, des araignées et des masques larvés.
Peur de moi
Peur du soleil.
La crève sur la graine.
Tu aurais dû m’apprendre à marcher . Je ne sais pas courir. Je ne sais pas souffrir.
Je suis un bébé éléphant égaré et je ne veux pas me faire adopter. Tu ne m’as pas adoptée. Toi, tu t’es sauvé un 12 avril de je sais plus quand.
Alors, pour Noël de cette année, je vais m’offrir deux cadeaux :
Une boîte de fins cigares avec des images dessus que je caresserai longtemps ; à force, elles s’useront et je fumerai ces cigares pour que , un jour, cette boîte soit vide et pour que je puisse enfin y placer mes rêves de ton odeur.
Et puis un Nours bleu que je prendrai dans mes bras et qui sera mon amour et mon nuage. Mon seul amour en nuage, hein ?
Oui, tu peux sourire, Pa –
Je n’aime que les soleils que tu aurais aimés.
Ton gilet moutarde avec son écusson.
Ta moustache et tes poils de nez.
Ton blaireau, ta mousse à raser.
Tes outils bien alignés dans l’atelier.
Tes crachats du matin.
Ta mobylette et ton solex.
Tes lunettes de moto.
Ton vin rouge et puis tes bouteilles d’eau à la menthe.
Tes tomates du jardin. Le persil frisé.
Si j’écris , c’est pour oublier que tu m’a oubliée.
Un jour, tu arrêteras de sourire quand je te parle.
Tu me prendras dans tes bras pour m’accueillir. Tu ouvriras tes bras. Hum.
C’est vrai que les boîtes vides ça s’achète pas. Alors, je vais acheter une boîte pleine.
Et puis tes yeux noirs, je les aimais aussi. On sourit pareil. Même encore maintenant. On sourit pareil.
C’est peut-être pour ça que je vrille parfois et que je fume pour me sentir encore dans tes narines.
Je ne sais d’ailleurs. C’est pas important.
Je n’ai pas de corps pour me reposer.
Quand la boîte de cigares sera vide, j’y mettrai la photo de deux enfants : toi et moi parce qu’on a le même sourire, Monsieur Alfred.

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