Les
voix de Federman ou
quand le je est en
jeu…….
je est un outil – si Rimbaud
pouvait entendre ça , il dirait :
Ah oui, c’est vachement
mieux que je est un autre
Federman
L’autre en moi fait mon
langage qui me permet d’être en l’autre
Federman
Plutôt que d’évoquer la
présence des personnages dans ton œuvre car, pour moi, il n’y a
pas de personnages dans ton œuvre, je préfèrerais employer
l’expression d’émergence de Voix. Voix plurielles, en écho.
En écho de ce que je crois
avoir été au gré de mes trous de mémoire.
Oui, car les indices
référentiels autobiographiques sont disséminés dans TOUS tes
romans et nous les retrouvons en saute-mouton ou en abyme.
Oui,
ou en abyme.
D’ailleurs,
je veux en terminer avec ce terme d’autobiographique [comme je ne
peux plus employer le terme poésie mais Acte
Poétique]. L’autobiographique n’est qu’une jolie illusion. Le
pacte de Philippe Lejeune in La mémoire et l’oblique (1991) me
semble totalement dépassé. Je le résume donc je le schématise :
un auteur s’adresserait à un lecteur par le biais d’un énoncé
mettant en œuvre les aventures d’un héros- protagoniste.
Tout
cela est foutaise- en effet. Ça ne tient pas du tout à propos de
mon travail qui est beaucoup plus complexe.
Oui
et d’ailleurs en introduction tu passes un autre pacte avec ton
lecteur et vous vous devez d’assumer ce pacte ensemble : ne
croyez surtout pas que ce je est tout a fait moi puisqu’il est
fictionnel.
Et
me limiter à l’autofiction façon Doubrowsky serait AUSSI une
grave erreur.
Hélas,
trop répandue. Passons. J’avance l’hypothèse que tes créatures
(auteur, enregistreur, écouteur professionnel, narrateur,
narrataire, héros, lecteur) ont tous des points communs avec toi
(histoire de leur vie, traits de caractères etc) mais il ne s’agit
pas de dédoublement mais plutôt d’émergence de Voix en écho que
te permet le jeu onomastique.
Je
joue sur les noms comme pour créer un effet de miroir et de mise en
abyme comme dit Gide. Regarde comme je même Moinous et Namredef qui
peuvent parfois parler en même temps : deux voix en une. Tiens,
je te fais la liste de mes Voix (et non pas mes pseudonymes, ni même
des parcelles identitaires- tu as raison) et je vais tenter de les
caractériser mais ce ne sera pas facile car ils peuvent aussi
intervertir leurs rôles. Je vais faire une liste, j’adore les
listes =
-
Moinous (Amer Eldorado, je le tue dans un bar de San Francisco et je le rescussite)
-
Namredef (Fourrure de la Tante Rachel
-
Le vieux Bonhomme (La flèche)
-
Boris (Qod)
-
Clochard 1 ou 2 (Le crépuscule) = interchangeables
-
Le jeune garçon (retour au fumier)
-
Hombre de la pluma
-
Féderman avec un é
-
Frenchy, le frog, l’ami français
-
Le cousin qui est sculpteur dans A qui de droit
-
Didi qui va naître, peut-être mais ça c’est une surprise
Je
dois en oublier.
Oui,
Jules par exemple dans L’extatique mais tu pourrais nous dire qui
ils sont, comment ils naissent ?
Moinous
est récurrent dans mon œuvre. Je le victimise.
Il a quelque chose de l’enfant en moi et il est naïf, un peu
ignorant des choses de la vie. Il a besoin d’être aimé.
Tu
l’aimes beaucoup.
Il
est un peu mon chouchou. Quand il est né - tu sais - c’est
l’impression que tu as quand tu rencontres quelqu’un que je
connaissais depuis toujours. Moinous, c’est Moi et nous mais qui
est le Moi – qui est le nous ? C’est ominous.
Le
moineau qui discute avec le pigeon unijambiste à Washington Square,
le moineau-us ?
Oui
il est si paumé, il ne sait pas ce qu’est l’amour. Il sait si
peu de choses de la vie. Namredef est plus adulte. Il maîtrise la
situation, si on peut dire. Tu te souviens : tu avais créé
Mandefer, ça me plaît bien aussi. Quant au vieux bonhomme de la
Flèche- c’est un mélange de Beckett, mon père, moi.
Assez
inquiétant ce vieux bonhomme…suicidaire ?
Oui
totalement fou qui fait lire le livre qu’ils sont en train d’écrire
– à moins que ce soit moi qui suis en train de l’écrire –
assez extravagant, voire violent avec lui et les autres. Mais Boris,
ah Boris.
Il
s’agit d’un prénom qui arrive assez tard dans Quitte ou Double,
tu
as beaucoup hésité ?
Mon
père est d’origine slave. Oui, j’avoue que j’aurais adoré
m’appeler Boris. Boris Federman. C’est un prénom très sexy.
Appelez-moi Boris Féderman, l’accent est là pour me différencier
du vrai Federman. En Allemagne, ils écrivent Federmann.
Hum…
Qui
signifie Hombre de la pluma. Moi, j’ai tout de suite pensé à
Hombre de la Mancha.
En
référence à Cervantès mais parce que tu as compris que je me
battais contre d’immenses moulins - que je veux – comme dit
Brel : atteindre l’inaccessible étoile. Excuse-moi – je
deviens sentimental.
Il
y a aussi Clochard 1 et 2 -- dans Le
Crépuscule --
presque interchangeables. Une belle paire de clowns-zigotos. J’ai
écrit ce texte avec Chambers alias Ace qui vient d’Horace. Le
cousin de Sarah qui est sculpteur dans A
qui de droit et
Didi que personne ne connaît encore. C’est une surprise.
Jules
aussi dans L’extatique de Jule et juliette . D’ailleurs, tu
m’as confié, un jour, que tu t’appelais Raymond, Jules, Tulipe
Federman. Tulipe comme dans
Fanfan la
tulipe ?
L’un
de mes héros préféré, joué par Gérard Philippe – le grand
séducteur. Je n’avais pas pensé à ça. Mais Fantomas aussi
j’aime beaucoup, mes premières lectures à mon chien Bidule quand
j’étais à la ferme à 13 ans. Tiens, dans retour
au fumier,
je ne sais plus si ce jeune gars a un prénom.
Donc,
si on résume, il s’agirait d’une mise en abyme horizontale de
l’énonciation si nous suivons la typologie de Klaus
Meyer-Minnemann et Sabine Schlickers (in La mise en abyme en
narratologie disponible sur le net chez Vox Poetica). Tu la créerais
dans l’ensemble de ton œuvre par une confusion généralisée :
celle du narrateur, narrataire, auteur, héros-protagoniste,
enregistreur, écouteur professionnel etc. – la répétition des
autobiographèmes dupliqués et faussés souvent car tu réécris
certains événements en faisant varier les indices spatiaux. En
outre, le jeu des digressions te permet de créer un macro-procédé
de de mise en abyme horizontale de ton énonciation.
Tu
crois ? Euh - Je suis très heureux d’apprendre tout ça …
Je précise cela pour que notre lecteur comprenne
qu’il s’agit bien d’une sorte de jeu que tu entretiens dans
l’ensemble de ton œuvre et que tu es partout sans être vraiment
nulle part.
Formidable !
Depuis le temps que je dis que je suis ici et ailleurs et partout à
la fois. Incredible.
Mais
il y a deux livres qui ont un statut particulier : le
livre de Sam et mon
corps en
neuf parties.
J’ai
écrit le Sam’book
à ta demande. Il est différent, en effet, plus autobiographique si
j’ose dire. Et mon
corps en neuf parties
est aussi un puzzle.
Il
est plein d’humour ce livre. J’adore tes orteils et tes
cicatrices
Et
mon nez aussi ?
Bien
sûr, ton nez. Mais, personnellement, je vois mes orteils et le reste
d’un autre œil. Mais surtout mes orteils.
C’est
parce qu’il est plus facile de parler à nos orteils plutôt qu’à
d’autres parties de notre anatomie.
Oui
(sourire). Crois-tu qu’il s’agisse d’une tentative pour
recoller les morceaux d’autant que dans la version anglaise, tu
ajoutes des suppléments et que ce livre est magnifiquement illustré
par des photos de Steve Murez – ton beau-fils.
Peu
importe mais je peux avouer que je me suis bien amusé et que j’aime
mon corps. Ça ne fait aucun doute.
Dis,
Federman, à quand le Federman qui parlera à Federman, dans Hors
du trou qui
relate ton aventure à Tokyo et qui n’est pas encore paru ?
Oui-
j’avais imaginé ça dans ce livre -- le dernier peut-être –
l’histoire de Federman [le vrai] parce que - tu sais – c’est à
Tokyo que j’ai compris pour la première fois que je voulais être
écrivain quand un pote m’a prêté Les Méditations
de Lamartine. C’est là que j’ai écrit mes premiers poèmes.
Donc, Tokyo, c’est très important pour moi. J’étais sûr de me
faire descendre en Corée pendant cette fichue guerre – me
demandant What the fuck I was doing there et quand l’armée m’a
envoyé à Tokyo - parce que je parlais le français – c’était
comme si on me donnait encore une fois un excès de vie. Tu vois ce
que je veux dire.
Un
excès de vie. Oui, je vois…
Et
donc c’est à Tokyo que j’ai compris qu’il y avait plusieurs
Federman. Le troufion qui se demandait ce qu’il faisait là et le
Federman qui était en train de devenir écrivain. Tu vois ce que je
veux dire. Ecrire pour moi- c’est comme respirer [c’est pareil
pour toi ]. On s’en fout du je - du il – et des autres pronoms.
On veut savoir qui on est. Alors – il me fallait trouver la clé du
roman.
Oui
cette fameuse clé qui t’est toujours nécessaire.
Alors
dans le roman il y a deux Federman qui ont un dialogue au sujet de
l’histoire de moinous à Tokyo. On en a marre de Moinous - il est
surfait – pourquoi ne pas raconter simplement l’histoire de
Federman à Tokyo. Et Federman demande à Federman – le je qui
raconte – pourquoi encore une histoire de Moinous. On s’en fout
si les lecteurs vont tout de suite dire que c’est autobiographique.
Ça
ne peut pas être autobiographique car c’est de la fiction.
C’est
de la fiction, voilà. Et ceux qui diront que c’est de
l’autobiographique ne savent pas que ce que tu écris Federman –
c’est plein de mensonges. Oui je sais la grande vérité se
construit sur un tas de petits mensonges – toutes les religions
aussi. Mais ça c’est une autre histoire.
Donc
maintenant c’est l’histoire de Federman à Tokyo que je raconte.
Un Federman fictif – un personnage inventé par le JE qui raconte.
Mais alors une question se pose. Qui est le JE qui raconte Federman
Et
Federman avec qui Federman dialogue répond :
-
Lui c’est le vrai Federman
-
Oui mais comment peut-il être vrai s’il est dans le roman que TOI – le vrai Federman – tu écris
-
Là tu cherches midi à quatorze heures – on va quand même pas refaire du roman en abyme – c’est vieux jeu
-
Bon alors disons que le JE qui raconte est simplement un OUTIL de Federman -- pas mal ça—
Et
n’oublions pas que dans le roman il y a deux Federman qui
dialoguent l’histoire de Federman fictif. Eux aussi sont fictifs
sur un autre plan. Ils sont sur le plan 1 avec le JE qui n’est que
l’outil de Federman
-
Mais quel Federman ?
-
Celui du roman ou celui en dehors du roman qui est le vrai Federman
-
Bon alors pas la peine de poursuivre comme ça
-
Mais si – disons simplement que dans ce roman [celle de Federman à Tokyo] il y aura toute une famille de Federman
-
Toute une flopée tu veux dire
-
Oui mais bon sang, que c’est crevant comme les Federman se multiplient quand Federman [le vrai] se met à écrire un roman….
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