OU LA MALADIE DES EMOTIONS
Je
ne suis pas douce et je n’aime pas les gens. Ils ne m’aiment pas
non plus mais ça m’est égal. J’ai inventé un baromètre de
l’humeur : un jour, il est à moins quarante et le lendemain à
plus quatre-vingt-dix. Au petit matin ou à la tombée de la nuit,
les piaillements suraigus des oiseaux me déchirent la tête. Le
refrain d’une chanson que l’on connaît par cœur joué de plus
en plus vite annonce mon délire. Ça peut commencer comme cela ou
bien, autrement. Le sommeil s’échappe, les angoisses ressurgissent
et à chaque fois mes pensées échappent à mon contrôle. Les mots
arrivent trop vite et elles s’envolent. Qu’est-ce que je voulais
dire ? Où en étais-je ? Je fais cent choses à la fois.
Le dessin, la retouche de photos, l’écriture, la radio, facebook
et les courriels. Rien ne me fait peur, je vais vite et même
l’ordinateur ne suit pas. Et puis, finir par pleurer parce que tout
s’échappe. Faire taire les voix qui me susurrent à l’oreille
des choses pas tendres ou au contraire trop suaves pour être
honnêtes : « Attention, là tu n’es pas protégée !Tu
as besoin de Dieu, il te faut le prier. Tu es folle, regarde-toi ! ».
Faire
semblant de se marier bientôt et essayer les plus belles robes chez
Pronuptia sans un sou en poche. Faire surchauffer l’ordinateur qui
ne tient pas une semaine à ce rythme. Ne rien dire à ma psy que je
vois une fois par semaine, sauver les apparences sinon c’est
l’internement immédiat en urgence. En fin de compte, laisser
passer la crise, le délire aussi et puis s’en moquer gentiment. En
période euphorique, je suis persuadée que Dieu me protège car « il
reconnaît les siens », il m’ouvre la route, mais je ne sais
pas qui est Dieu… La nuit, je peux conduire les yeux fermés… Je
suis invincible, je peux me qualifier pour les prochains Jeux
Olympiques d’été : mon rêve depuis toujours, le
pentathlon et le cent mètres je les remporterai haut la main. J’ai
toujours couru plus vite que tout le monde. Je suis la plus grande
chanteuse de la planète même si je suis encore ignorée, le monde,
un jour, reconnaîtra mon talent, j’ai confiance! Je passe ma vie
au téléphone pendant des heures sans pouvoir dormir, je téléphone
même aux gens en pleine nuit. Je laisse des messages sur les
répondeurs, je perds des amis qui n’admettent pas mes messages à
trois heures du matin. Rien à mon goût ne va assez vite. Il faut se
dépêcher de vivre, il nous reste peu de temps. « Allez, on
part au bout du monde ! ». Dans ces moments - là, je
ressens une sensation de vertige, je suis envahie par l’inquiétude
mais pas par le doute. Et il est si bon de se sentir au sommet de son
art, de sentir la vie au plus fort de tout, de se croire belle et
plus subtile, plus vive, plus intelligente aussi.
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